« Mon père n’était pas un paysan comme les autres, il n’avait pas de terre, nous étions trop pauvres et il ne se louait pas, non plus, pour la cultiver.
La terre, il l’aimait à sa façon, il ne la travaillait pas, il la regardait. Elle était son livre de la science du bien et du mal ! Il passait des heures à l’apprendre. Il ne faisait rien. Mon père passait sa vie à contempler, à observer, à regarder et on le prenait pour un paresseux. Moi, cinquante ans plus tard, je le prends pour un sage.
Petit enfant, je le voyais revenir avec de pleines brassées de plantes souvent fleuries. Je trouvais ça joli, d’ailleurs tout ce que mon père faisait était joli, c’était un artisan de la beauté : mais je ne savais pas pourquoi il les rapportait chez nous. Plus tard, je l’accompagnais et il me montrait des herbes, des plantes.
Pour lui, la chélidoine était « l’herbe aux hirondelles ». Personne ne l’a jamais employée comme lui, et maintenant comme moi. En usage externe on se sert de son suc sur les verrues, comme anti-ophtalmique et sur les tumeurs scrofuleuses, les ulcères sordides scorbutiques et atoniques.

Mon père me disait qu’il avait découvert une des vertus de cette plante en observant un nid d’hirondelles sous le toit de la maison.
– Tu comprends, je voyais la mère qui apportait un brin de chélidoine à son nid. Ce n’était pas pour le donner à manger à ses petits, alors pourquoi ?
A force de patience il a fini par comprendre. L’hirondelle tenait dans son bec la plante et la frottait contre la tête d’un petit, toujours le même, celui dont les yeux restaient fermés. Quand ils se sont enfin ouverts, l’hirondelle n’a plus apporté de chélidoine. »
Maurice Mésségué « Des hommes et des plantes » 1970. Robert Laffont
Cette façon d’apprendre, de découvrir, de comprendre que nous transmet Mésségué, est essentielle dans la démarche spirituelle. Elle part d’une question, sans a priori, nourrie d’une curiosité et d’une soif de connaître qui créent un intérêt et une ouverture. Puis regarder, observer avec soin, permet de voir et… de comprendre (prendre en soi) ! Eureka ! Car c’est alors un moment de joie, et bien souvent d’émerveillement.
Cela correspond à l’attitude de la méditation où il y a intérêt et présence, sans attachement, sans jugement. Observer sans commenter développe une capacité fine de voir, de regarder de façon ouverte. L’observation est d’ailleurs l’un des grands principes de la permaculture qui devient tellement prisée aujourd’hui
L’observation neutre, sans choix, n’est pas une pratique de l’ego. Lui, au contraire, est toujours en train d’interpréter, de juger, de classer, de choisir entre ce qu’il aime ou n’aime pas. L’observation pure, dans la méditation ou la vie de tous les jours, est un fonctionnement du spectateur intérieur. Le spectateur intérieur est un personnage tout autre que le mental, personnage qui va faire le lien avec notre vraie nature, le Soi.